Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Alexis de Spa
Derniers commentaires
Alexis de Spa
22 janvier 2010

© Chapitre 1 : Acte 1


BRUXELLES-LA-MORTE

I


Je me souviens encore de cette matinée automnale où je décidai pour la première fois de ne plus succomber au poids de mon existence. Les rues étaient désertes et le souffle du destin caressait déjà nos maisons ; les écrans des ordinateurs illuminaient les rues d’un brin de paillettes bleutées. Et je me souviens avoir pensé que ce vingtième siècle technologique pouvait se révéler féerique si le cœur y mettait du sien. Je sortis de chez moi par une toute petite porte métallique dont les gons grinçaient furieusement, dévalai les quelques marches et me promenai la tête libre, le cœur léger, les yeux gais d’une nuit apaisée de rêves vides de sens ; je flottai dans les rues sur la mélodie puissante de La foule de Piaf, dans le rythme des dalles que je ne pouvais toucher qu’avec un seul pied car l’autre en était déjà complètement imbibé. Et dans ces rues désertées par la présence humaine je compris pour la première fois ce que je n’aurais peut-être jamais compris autrement et plus tard : si Edith Piaf chantait la foule ce n’était pas pour nous parler de la foule mais de cette chose qui emplit les rues, les maisons, les villes et les cœurs : l’Amour. Ca m’est venu comme ça, comme une révélation, comme un éclair d’intelligence en face d’une chanson que j’écoutais depuis des années et qui m’était en réalité complètement étrangère. Elle revoit la ville en fête et en délire suffocant sous le soleil et sous la joie, et elle entend dans la musique les cris les rires, qui éclatent et rebondissent autour d’elle. Or, comment cette enfant, qui venait de la rue et des maisons closes, qui connut les pires maladies physiques et psychiques, pouvait-elle se réjouir en se remémorant un monde factice de rues en fête et de gens en délire ? D’ailleurs, perdue parmi ces gens qui la bousculent, étourdie désemparée, elle reste là, car où voudriez-vous qu’elle aille, elle, si étrangère à tout cela ? C’est seulement quand soudain elle se retourne et qu’il se recule, que la foule vient la jeter entre ses bras. Je réécoutais ces quarante-cinq premières secondes en boucle et je me disais : « mais rien n’est censé dans ce passage ». Ce n’était ni logique, ni approprié, ni merveilleux. Et malgré tout, il y avait quelque chose de transcendant dans cette mélodie, dans ces paroles, quelque chose qui faisait chavirer mon cœur, et dans cette chose, je me réfugiais aux moments les plus pénibles.

Moi non plus, je n’ai jamais aimé la foule et les paillettes du succès, je n’ai jamais voulu être une star, adulée, bousculée parmi des gens en furie. Puis j’ai repensé à ce cours que j’avais eu autrefois, un cours de littérature je crois, au cours duquel le professeur avait disserté sur le phénomène de « foule ». A la limite de la psychologie et de la sociologie, l’analyse des phénomènes de foules, de masses, s’était avérée passionnante et je me rappelle avoir parcouru quelques textes d’auteurs renommés, qui exprimaient toute la puissance de la foule, et surtout, son identité. Je me souviens que le professeur nous éclaircissait sur cette identité spécifique, totalement distincte de la somme des identités individuelles qui la composent, et il relevait les points importants dans chacun de ces textes tout en soulevant l’aspect métaphorique de ceux-ci. La foule ne représente-t-elle pas le côté inconscient de chacun d’entre nous ? Ne permet-elle pas de libérer des sentiments inconnus de nos vies banales ? J’étais sortie de ce cours toute songeuse et enivrée en même temps, et lorsque je suis arrivée chez moi, j’avais eu ce sentiment étrange que la foule représentait une entité à part entière mais supérieure à ce qu’on lui attribuait souvent, quelque chose de plus grand, de plus haut de plus important. Et bien que j’écoutais déjà Piaf à l’époque, je n’avais pas relié les deux éléments entre eux. Ce petit matin d’automne pourtant, je le réalisai et je le compris. Emportés par la foule, dit-elle, une foule qui nous traîne, nous entraîne et nous écrase l’un contre l’autre. Qui est l’autre ? Un inconnu ? Non. L’autre c’est celui qu’on attend, c’est l’être aimé s’il n’est pas encore là, c’est l’ami, c’est la mère, c’est la main tendue dans la foule, c’est la main tendue dans le vide, c’est l’Amour. Et si l’un et l’autre ne forment qu’un seul corps, c’est parce que ce corps là est le corps attendu, l’union espérée, le lien qui nous unit à l’Autre. Le flot, c’est ce qui nous pousse enchaînés l’un et l’autre et nous laisse épanouis, enivrés et heureux ; c’est ce qui danse une folle farandole. Oui, ce matin là, dans le néant des rues citadines, la foule m’a sauté au visage, le flot a pénétré mon cerveau et a activé les quelques clés endormies qui permettaient de comprendre la puissance des mots, des mélodies, d’une chanson, qui permettaient de comprendre Piaf et de me comprendre moi.

Ce matin là, il était bien trop tôt pour crier ma révélation au monde, et bien trop tard pour en rêver. Il était précisément ce moment de la journée où les idées jaillissent mais où les actes se reposent, où il serait préférable de dormir aussi parce que des idées, on ne peut rien en faire. Alors je me suis mise à chanter, valser, tourbillonner, je me suis mise à flotter dans cet air léger et à écrire avec ma ronde de pas ce que je voulais dire au monde entier. J’ai traversé les rues emplies du parfum délicat des boulangeries, les senteurs des croissants et des baguettes, et ce parfum là, c’était le parfum de la farandole. Une petite fille arrivait en courant, quelques pièces dans la main, le visage à peine éveillé. Elle me frôla et je sentis sur son passage l’odeur de ses cheveux, l’odeur des draps de l’enfance, du baiser maternel, l’odeur de la paix intérieure. J’hésitai à la suivre dans la boulangerie, à lui parler, à lui faire écouter ma chanson ; mais je me suis dit que rien ne pouvait sembler plus faux que de révéler à l’enfance ce que l’âge mûr construit. Il y avait à la fois un décalage et une complétude dans la présence de cette petite fille à ce moment-là de ma construction personnelle. Alors je me suis écartée, j’ai enlevé mes écouteurs et j’ai continué mon chemin.

© Alexis de Spa

Publicité
Commentaires
V
Bonjour Alexis<br /> <br /> Je viens de découvrir ton blog grâce au forum de CB. J'ai voté "STOP" à la préface. Je dois avouer que je ne l'ai pas finie elle m'a ennuyée. Mais comme tu avais déjà publié le chapitre 1 je ne risquais pas grand chose je savais que j'avais quand même la suite :)<br /> <br /> Et voilà... je viens de lire le chapitre 1 et j'ai voté "encore" mais pas pour la bonne raison. Oui la raison n'est pas que "j'adore" non mais juste que je suis curieuse et qu'il m'en faut plus pour me faire une idée. Tu vois quand je lis un bouquin (ce qui m'arrive quand même très souvent :D) il me faut une bonne vingtaine de pages avant que je dise vraiment STOP s'il ne me plait pas. Donc j'ai besoin de plus.<br /> <br /> Mais qu'est-ce qui ne me plait pas au juste ?<br /> Pour le moment j'aurais tendance à dire le sujet ou thème choisi. Le seul hic c'est qu'à ce stade de la lecture nous ne sommes absolument pas certaines de l'orientation que va prendre ton histoire. Voilà pourquoi j'ai voté "encore".<br /> <br /> Quant à ton style, j'aime assez le côté "élancé" de ton écriture. Elle est dynamique, vivante, fraîche, ni trop légère ni trop guindée... Bref, elle semble annoncer qu'il va y avoir du mouvement et qu'on ne va pas s'ennuyer.<br /> <br /> Donc j'attends de voir :)<br /> <br /> Euh par contre si tu me le permets, bien que tu ne l'aies pas demandé, je pense qu'une petite correction s'impose (sauf si moi même je fais erreur ce qui est possible aussi). Donc dans cette phrase "J’étais sortie de ce cours toute songeuse et enivrée en même temps, et lorsque je suis arrivée chez moi, j’avais eu ce sentiment étrange que la foule représentait une entité à part entière mais supérieurs à ce qu’on lui attribuait souvent, quelque chose de plus grand, de plus haut de plus important" en ce qui concerne "supérieurs" ne serait-ce pas plutôt "supérieure" ? car sauf erreur de ma part il s'agit bien de l'entité qui est supérieure non ?<br /> <br /> Merci en tout cas pour cette idée de livre dont nous sommes les juges qui est je trouve très intéressante et enrichissante tant pour toi que pour nous.<br /> <br /> Bonne nuit<br /> <br /> Véro
G
Ou es-tu passée ? J'aimerais lire la suite ! Je ne vais pas t'expliquer le cheminement de ma pensée pour t'expliquer pour quoi j'ai envie de lire la suite ! J'ai envie : point ! Reviens !
P
Bonjour Alexis. A nouveau ici pour le plaisir de te relire. J'ai hâte de lire la suite. A bientôt.
V
ai voté pour <br /> a bientôt pour la suite<br /> Val
S
tu devrais essayer d'aerer.<br /> de mettre des paragraphes.<br /> un peu comme le commentaire au dessus du mien.<br /> <br /> c'est plus facile a lire des series de 3 ,4 lignes...<br /> <br /> j'ai voté!!<br /> :)
Alexis de Spa
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité